Le lecanemab et le donanemab sont deux nouvelles molécules permettant de freiner l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Mais l’injection de ces anticorps n’est pas sans risque pour les patients. Faut-il les prescrire ? L’avis du Docteur Christophe de Jaeger, médecin physiologiste.
Sihem Boultif en collaboration avec le Docteur Christophe de Jaeger (Longévité et gériatrie)
Sommaire
- Le lecanemab et le donanemab, deux anticorps contre les plaques amyloïdes
- Un nombre de décès plus important, selon les dernières données
- Des médicaments qui ne sont pas financés faute de balance bénéfice-risque positive
- Un risque important d’hémorragies et d’oedèmes cérébraux
- Faut-il prescrire ces médicaments aux patients touchés par Alzheimer ?
Les mécanismes de la maladie d’Alzheimer sont encore très flous. Néanmoins, la recherche avance à petits pas et deux médicaments prometteurs ont récemment été mis au point contre la maladie. Cependant, en raison des risques qu’ils présentent, certains médecins hésitent encore à les prescrire à leurs patients.
Le lecanemab et le donanemab, deux anticorps contre les plaques amyloïdes
Les deux molécules, le lecanemab et le donanemab, sont deux anticorps dirigés contre les protéines béta-amyloïdes, responsables des plaques portant le même nom, qui colonisent petit à petit le cerveau des malades, déclenchant leurs troubles cognitifs.
Injecter l’un ou l’autre de ces médicaments permettrait donc de réduire ces plaques amyloïdes, mais aussi de ralentir la progression de la maladie. Selon les études, ils amélioreraient l’état des patients en prolongeant leur vie en bonne santé de 4 à 6 mois environ.
Si ces deux molécules sont porteuses d’espoir pour tous les malades atteints par Alzheimer, elles ne représenteraient pas non plus un traitement miraculeux. Selon le Daily Mail, il a été constaté que le lecanemab triplait le risque de décès en un an, par rapport aux personnes atteintes de démence à qui le médicament n’était pas prescrit.
En effet, cette étude – qui se base sur des données américaines portant sur les médicaments utilisés depuis l’année dernière – a révélé que le risque de décès était significativement plus élevé que celui rapporté dans les essais cliniques : 21 décès ont été recensés, sur 10 000 patients prenant du lecanemab.
Des médicaments qui ne sont pas financés faute de balance bénéfice-risque positive
Le 26 juillet, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a refusé la commercialisation du Leqembi (lecanemab) pour le traitement de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce en Europe. Le 3 juillet, les autorités américaines avaient de leur côté donné leur feu vert pour la mise sur le marché de ce médicament. Les raisons avancées alors par l’agence européenne était un faible effet sur le score des tests d’évaluation des capacités cognitives, des effets secondaires potentiellement graves et un risque plus élevé de complications pour certaines formes génétiques (notamment ApoE4). Tous les détails de cette décision et les réactions des associations dans notre article « Alzheimer : L’Europe bloque un traitement très attendu et autorisé aux USA« .
L’organisme de surveillance des dépenses du National Health Service (NHS) anglais a également refusé de rembourser le médicament, arguant qu’il offre « des avantages relativement modestes […] ce qui signifie qu’il ne peut pas être considéré comme ayant un bon rapport qualité-prix« . Il reste toutefois accessible pour les patients, pour la modique somme de 20 000 livres, soit plus de 23 000 euros. Le même organisme a également rejeté la demande pour le donanemab.
Un risque important d’hémorragies et d’oedèmes cérébraux
Au total, ce sont 3000 patients qui auraient commencé à prendre ce type de molécules aux Etats-Unis, depuis leur approbation par les autorités sanitaires américaines en juillet 2023. Mais les patients prenant ces médicaments courent également un risque accru d’œdèmes et de saignements cérébraux potentiellement mortels.
Selon Robert Howard, l’un des auteurs de l’étude, expert en psychiatrie de la vieillesse à l’University College de Londres, « l’idée selon laquelle le lécanémab est un médicament miracle n’est pas étayée par les preuves issues des essais. Il est même douteux de dire que ces médicaments ralentissent la progression de la maladie, car ce n’est qu’une interprétation ».
Avant de mettre en garde : « Quiconque a l’argent nécessaire pour se permettre le lécanémab doit y réfléchir attentivement, car les risques sont réels ».
Faut-il prescrire ces médicaments aux patients touchés par Alzheimer ?
Interrogé sur le sujet, le Docteur Christophe de Jaeger, médecin physiologiste et membre du comité d’experts de Doctissimo, reste prudent. « En réalité, nous ne connaissons pas suffisamment l’efficacité de ces molécules sur le long terme » estime-t-il tout d’abord. « La question est de savoir si elle peut procurer un avantage réel pour les patients, sachant que le risque existera toujours« .
Comment se passe la prescription de ce type de molécules en France ? Selon notre expert, elle n’existe pas dans le secteur privé. « A l’hôpital, les médecins discutent en comité de la pertinence ou non d’injecter ce traitement à un patient » ajoute-t-il. « Aux Etats-Unis, le patient et sa famille devront même signer un consentement, avant de se voir prescrire le médicament. Mais si le bénéfice n’est que de 6 mois, il est difficile de faire prendre des risques à un patient pour une durée aussi courte » concède-t-il encore.
Pour notre expert, il faut donc patienter. « Il faut attendre les résultats d’études complémentaires sur ces molécules, afin que l’on puisse disposer de données plus solides qui permettront de prescrire de la manière la plus adaptée possible, ce type de molécules aux patients qui en auront besoin ».
Sources
- Entretien avec le Docteur Christophe de Jaeger, le 4 novembre 2024
- Daily Mail
- L’étude évoquée par le Dr Robert Howard, spécialiste du grand âge à l’University College London est actuellement en cours de révision car « les données sont actuellement préliminaires » et « il existe une incertitude sur les chiffres réels ».