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À partir de quel âge est-on vieux aujourd’hui ? Les plus âgés ont leurs propres réponses

Atlantico avec le Docteur Christophe de Jaeger

L’étude réalisée par Markus Wettstein de l’Université Humboldt de Berlin, de Rinseo Park de l’Université de Stanford aux États-Unis et de Anna E. Kornadt de la même université américaine et publiée très récemment dans » Psychology and aging » pose la question de notre perception de la « vieillesse » et de son évolution dans le temps.

grandmother and grandfather holding child on their lap
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Atlantico : Avec l’espérance de vie, les personnes âgées estiment-elles que la vieillesse arrive plus tardivement que leurs aînés  ?

Docteur Christophe de JaegerLa première chose à considérer est le concept de « vieillissement ». Que veut dire être vieux ? Dans l’esprit de la plupart de nos contemporains, le vieillissement commence quand la perte de nos capacités physiques et intellectuelles débute. On peut alors parler de handicap. Nous devenons dépendant d’une tierce personne pour les actes de la vie courante. Il y a donc une variabilité interpersonnelle extraordinaire. Une seconde difficulté vient de la subjectivité qui est liée à ce ressenti.

La cohorte du Centre allemand de Gérontologie comporte 14056 personnes de 40 à 85 ans suivis sur 25 ans. À l’âge de 64 ans, la perception du seuil de la vieillesse se situe à 75 ans. On observe également que les plus jeunes participants à cette cohorte voient l’âge de la vieillesse bien avant 75 ans et à l’inverse les plus âgés, on une perception de la vieillesse qui va au-delà de 75 ans.

De la même manière, une personne de sexe masculin vivant seule et étant malade aura une perception du seuil de la vieillesse nettement plus avancée que 75 ans.

Trois éléments vont d’après cet article modifier la perception de l’âge qui marque la vieillesse. D’une part l’augmentation de l’espérance de vie en général qui nous fait croire que l’état de santé de notre population s’améliore. Mécaniquement, il en ressort que notre perception de « l’âge de bascule » s’éloigne. Le recul de l’âge de la retraite peut faire penser à certains que la raison majeure en est l’amélioration de la santé des personnes, plutôt que la situation économique. Nous savons que c’est l’économie qui est le facteur décisionnel. Et bien sûr, notre perception de la maladie change avec le temps. Nous avons l’impression d’être en meilleure santé qu’il y a 10, 15 ou 20 ans. Ce qui n’est là aussi que partiellement vrai. Le corps médical détecte mieux et plus tôt les maladies chroniques qui nous affectent et permet de reculer le moment où ces maladies se compliquent de handicap.

Nous pouvons bien sûr tous nous réjouir que la perception de la vieillesse recule. Mais il ne s’agit que de perception (article publié dans le journal « Psychology and aging »). Regardons ce que nous apprennent les sciences de la longévité.

Nous avons trois âges différents : notre âge chronologique déterminé par notre date de naissance, un âge physiologique qui correspond à l’âge réel des différents systèmes physiologiques qui composent notre organisme et un âge ressenti qui correspond à une vision subjective, parfois très subjective de l’âge que nous croyons avoir. Cet âge ressenti est dans la réalité extrêmement traître, car nous amenant à croire que nous sommes en meilleur état que nous ne sommes en réalité et il nous empêche de prendre les bonnes décisions quant à la préservation de notre santé.

Comme j’aime à le répéter, le phénomène du vieillissement en soi ne veut plus dire grand- chose. Un adolescent de 16 ans est vieux par rapport à un enfant de 12 ans. De la conception à la fin de l’adolescence, notre vieillissement est positif et nous l’appelons en médecine de la longévité, la phase de développement. Après la fin de l’adolescence, nous changeons de processus et nous passons à la sénescence qui est un vieillissement négatif, une diminution très progressive et insidieuse de nos capacités physiologiques. Le vieillissement n’est qu’un marqueur chronologique de notre temps passé sur terre et plus un marqueur fonctionnel absolu.

Comment expliquer qu’au fur et à mesure que les individus vieillissent, leur perception de l’apparition de la vieillesse est repoussée ?

Il n’est jamais agréable de se dire « vieux ». Car ce terme est péjoratif par rapport à la jeunesse. On est vieux quand on perd ses capacités physiques et / ou psychiques. En d’autres termes, c’est toujours l’autre qui est vieux. Il existe depuis une quinzaine d’années en France un nouveau marqueur de l’INSEE qui est l’espérance de vie en bonne santé. Il s’agit en fait, non pas d’un marqueur de bonne santé, mais d’un marqueur de début d’incapacité. Il se situe à 65 ans pour les femmes et 64 ans pour les hommes. L’INSEE nous donne donc une vision bien différente de l’âge présumé de la vieillesse si l’on considère que la marque de la vieillesse est la perte de ses capacités d’autonomie.

Les femmes perçoivent-elles la vieillesse de manière différente que les hommes ? Que peut-on dire aussi en fonction du pays dans lequel on se trouve ?

Dans cette étude, les femmes perçoivent la vieillesse plus tardivement que les hommes. La différence est d’environ 2,5 ans. Cette différence provient sans doute effectivement d’une meilleure santé générale qui se retrouve dans une espérance de vie d’environ 5 ans supérieure à celle des hommes, mais également probablement du fait d’une pression sociale plus marquée chez les femmes que chez les hommes.

Il existe également une différence entre les pays. En Allemagne, il existe du fait de l’augmentation de l’âge de la retraite, un décalage dans le temps plus important du sentiment d’être vieux. Nous sommes à l’inverse des États-Unis, où il existe une pression terrible pour être « apte » à tout, le plus longtemps possible. La vieillesse est synonyme d’inaptitude et on perçoit donc la vieillesse en soi comme un handicap qui survient toujours trop tôt. Dans de telles conditions, il existe une pression forte pour rester jeune et l’on voit fleurir des cliniques anti-âge destinées à lutter contre la sénescence. Le côté positif est que beaucoup d’Américains luttent activement, parfois à l’excès et en dépit du bon sens, afin de conserver leur capital santé au maximum.

Enfin, il existe aussi une différence de perception en fonction du niveau d’éducation. Dans des milieux plus informés sur l’importance de la santé et qui vont éduquer leurs enfants dans cet esprit, nous aurons une perception de la vieillesse et de ses incapacités beaucoup plus tardive que dans des populations de moindre éducation.

J’aimerais insister sur le fait qu’il ne faut plus systématiquement considérer l’âge comme une limite opposable à tous. Les progrès de la médecine permettent d’évaluer très précisément le degré de santé de chacun, de déceler et corriger ses faiblesses et également, d’améliorer ses points forts. Je pense qu’il est intéressant de considérer l’évolution du ressenti de vieillesse, mais qu’il est encore plus intéressant de mesurer individuellement l’évolution du Capital santé de nos contemporains qui s’y intéressent afin de rester le plus longtemps possible en bonne santé.