Selon l’OMS, l’espérance de vie continue à augmenter mais les chiffres de l’espérance de vie en bonne santé ne progressent pas assez rapidement.
Atlantico avec le Docteur Christophe de Jaeger
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Atlantico : L’espérance de vie continue à augmenter, mais à un rythme plus important et plus rapide par rapport à l’espérance de vie en bonne santé, selon les chiffres de l’OMS. Quelles sont les principales leçons de ces réalités médicales et de ce décalage ? Les femmes sont-elles les plus pénalisées à l’échelle mondiale par le fait de vivre en moins bonne santé ?
Christophe de Jaeger : L’espérance de vie a toujours été considérée comme un marqueur global de santé, alors qu’il faudrait la considérer comme un marqueur de maladies. En effet, l’évidence montre que l’on meurt de maladie. En France, par exemple, l’espérance de vie a cru très régulièrement jusqu’à peu et aujourd’hui, la plupart des scientifiques pensent qu’elle a atteint un plateau. Mais l’espérance de vie totale à la naissance n’est pas un marqueur satisfaisant de santé. Elle donne une idée sur l’ensemble d’une population en lissant les extrêmes, mais elle n’est pas superposable à la santé réelle des individus. En d’autres termes, on peut vivre longtemps, mais malade, voire très malade. Il était nécessaire d’inventer un marqueur « sans maladies ». D’où cette notion d’espérance de vie en bonne santé, lui-même très critiquable, car étant en fait un marqueur de perte d’autonomie (espérance vie sans incapacité) et non de santé. On voit donc la difficulté à appréhender cette notion de « santé » dans une population générale, qui plus est au plan mondial dans des pays n’ayant pas les mêmes systèmes de santé, ni les mêmes niveaux sanitaires.
L’étude d’Armin Garmany et du docteur Andre Terzic, de la Mayo Clinic à Rochester au Minnesota (Etats Unis) est donc particulièrement intéressante, car elle porte sur un ensemble de pays et de systèmes sanitaires non comparables dans la réalité des faits. En d’autres termes, cette nouvelle étude ne concerne pas que nos pays occidentaux, dits « riches », mais l’ensemble des 183 pays membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’agit donc de statistiques associant les pays comme les Etats-Unis, la France, mais également des pays extrêmement pauvres. Il n’était donc pas du tout évident que l’on puisse trouver des variations significatives.
Les chiffres montrent qu’il existe une augmentation significative de l’espérance de vie dans l’ensemble des 183 pays étudiés, mais, contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient croire, cette augmentation ne s’accompagne pas d’une augmentation de l’espérance de vie dite en « bonne santé ». Pour bien comprendre l’évolution de ces chiffres, il faut se souvenir que l’augmentation de l’espérance de vie globale à la naissance est liée dans un premier temps à la réduction de la mortalité infantile, aux progrès considérables qu’on permit les vaccinations et l’introduction des antibiotiques. Cette augmentation est liée dans un second temps à un meilleur diagnostic et traitement des maladies chroniques (maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète…). Les pays émergents connaissent actuellement les deux phénomènes simultanément : progrès dans la prise en charge des pathologies de la mère, des enfants, mise en place de campagnes de vaccinations, etc.. et en plus, meilleure prise en charge des seniors. Alors que dans les pays occidentaux, les seuls gains que l’on pourrait encore attendre ne peuvent donc provenir d’une meilleure prise en charge des maladies chroniques… mais comme cela ne vous a pas échappé, nous ne sommes plus dans « l’espérance de vie en bonne santé », mais ici bel et bien, dans la maladie.
Cette notion est très difficile à comprendre pour la grande majorité de la population, car bien que diabétique, hypertendue, en surcharge pondérale, etc… elle se sent toujours en bonne santé, alors qu’il ne s’agit en réalité que d’une illusion particulièrement dangereuse en termes de santé, car empêchant une prise en charge précoce. En d’autres termes, si on a l’impression d’aller bien (grâce aux traitements des maladies), on ne ressent pas le besoin d’aller au-delà par une prise en charge préventive.
Si on en revient aux résultats de cette étude, on voit que l’espérance de vie moyenne en bonne santé est de 63,3 ans (64 ans en moyenne en France, alors que nous croyons toujours être parmi les meilleurs au plan sanitaire au monde) , également inférieure à l’espérance de vie moyenne mondiale qui est de 72,5 ans dans les États membres de l’OMS, « ce qui confirme un décalage pangéographique entre l’espérance de vie en bonne santé et l’espérance de vie à la naissance. Les auteurs remarquent que dans l’ensemble, l’écart moyen entre l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé est passé de 8,5 ans en 2000 à 9,6 ans en 2019, soit une croissance de 13 %. Les chercheurs ont également observé des différences entre les sexes, les femmes présentant un écart moyen entre l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé de 2,4 ans supérieur à celui des hommes. Les États-Unis ont enregistré le plus grand écart entre l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé, avec un écart de 24 % supérieur à son espérance de vie. Cet écart, dû aux maladies chroniques, est passé de 10,9 ans en 2000 à 12,4 ans en 2019, ce qui représente un écart de 29 % supérieur à la moyenne mondiale. Conformément aux tendances mondiales, les femmes américaines ont montré un écart de 2,6 ans plus important entre leur espérance de vie et leur santé par rapport aux hommes, ce qui peut s’expliquer par une espérance de vie plus longue pour les femmes, mais pas à l’avantage des années « santé ».
Il existe donc derrière les chiffres de cette étude d’importantes disparités entre les pays, mais qui vont dans la même direction : nous pouvons espérer vivre plus longtemps, mais malade. C’est quelque part le triomphe de l’industrie de la maladie. Mon commentaire n’est en aucun point négatif, mais un simple constat. Si nous ne mourons pas de maladie dans notre première partie de vie, c’est grâce aux médicaments. Et si nous reculons l’échéance des décès liés aux maladies chroniques, c’est également du fait des médicaments. Le rôle des soins en général est primordial pour nos deux espérances de vie (globale et en bonne santé), mais elle ne doit pas nous faire oublier la prévention active ou primaire telle que l’OMS l’a définie « comment faire pour ne pas être malade ». Et là nous avons une multitude de pistes.
Comment serait-il possible d’améliorer l’espérance de vie en bonne santé ?
C’est l’enjeu majeur de notre siècle !
Je suis de ceux qui sont persuadés que notre espérance de vie en bonne santé peut croître considérablement à condition que l’on s’investisse réellement dans le challenge qui est la prévention primaire. Je décris longuement les enjeux de cette médecine spécifiquement de la longévité dans mon livre « Médecine de la longévité : une révolution » aux éditions Trédaniel. Il faut en effet passer d’une logique de médecine de soins à une logique de prévention primaire ou bien en d’autres termes une médecine basée sur le fait de ne pas tomber malade. C’est une médecine extrêmement ambitieuse basée sur la motivation des individus. On ne peut pas vous forcer à faire les efforts nécessaires pour rester en bonne santé ou regagner votre santé. Cela nécessite également un environnement médical et scientifique de très haut niveau.
J’aimerais insister sur cette notion de motivation qui ne peut qu’être personnelle. Il faut savoir s’investir dans sa santé au sens noble du terme. Il faut savoir aujourd’hui changer son mode de vie en fonction de ses réalités physiologiques, pour demain, parfois dans 10, 15 ou 20 ans, éviter ou retarder l’émergence de maladies chroniques.
Les systèmes de santé peuvent-ils s’adapter et relever ce défi pour permettre aux patients de vivre plus longtemps en meilleure santé ? Cela ne va-t-il pas créer une crise de la dépendance ?
Si nous continuons ainsi, c’est-à-dire juste à soigner les malades, sans faire de prévention primaire, malades qui seront de plus en plus nombreux compte tenu de la pyramide des âges, nous arriverons inéluctablement à cette « crise de la dépendance » et une totale saturation de tous nos systèmes de soins. Une partie de plus en plus importante de notre population sera malade, voire dépendante après quelques années. Donc augmentation nécessaire du nombre de lits (alors que nous en avons de moins en moins), augmentation des places en résidences médicalisées, etc… Les coûts pour la nation vont donc doucement, mais sûrement exploser alors que certains disent que notre système de santé est déjà au bord de la faillite.
Le seul moyen de tenter de lutter contre cette tendance de fond est de valoriser la notion de « santé ». Je parle de « santé » au sens noble du terme, au sens de la définition donnée par l’OMS. Être capable de vivre à 100% au quotidien et non pas de la notion « d’absence de maladie ».
Certains logiciels d’accompagnement à la santé apparaissent sur le marché, comme par exemple : « MyLifeCare ». Il part d’un réel constat de santé 360 ° fait en centre médical et donne des conseils adaptés à votre cas particulier associé à un suivi annuel. Un an plus tard, un nouveau bilan permet de mesurer les progrès « santé » accomplis. S’ils sont positifs, on peut très bien imaginer une réduction des cotisations sociales, par exemple de mutuelle, plutôt que de voir ces cotisations implacablement monter d’année en année, quels que soient vos efforts pour conserver votre santé. Il s’agit, ni plus ni moins, d’un « bonus santé », à l’image des bonus pour bons conducteurs. Tout cela devrait se faire sous le contrôle du corps médical seul compétent pour apprécier les forces et faiblesses de chacun et les conseiller au plus juste.
Il est donc indispensable que nos systèmes de santé s’adaptent et surtout deviennent de vrais « acteurs » de la santé et non plus simplement des « payeurs » pour la maladie. Mais pour cela, ils doivent faire leur révolution en suivant une logique totalement différente de celle consacrée à la maladie, ceux pour quoi ils ont été créés. En sont ils capables ?
Article à retrouver sur le site Atlantico
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Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.
Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et
de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.
De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.
Son dernier ouvrage grand public »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.