Mode de vie, activités sociales, état d’esprit… Comment vivre le plus longtemps possible et sans problème de santé en prenant simplement de bonnes habitudes ? Le médecin Christophe de Jaeger, spécialiste du vieillissement, nous explique l’art de la longévité.
Par Stanislas Deve — 09 Déc 2022
Notre progéniture devrait souffler plus de bougies que nous au bout du compte. Selon une récente projection de l’Insee, les enfants nés aujourd’hui en France pourraient avoir une espérance de vie moyenne de 90 ans pour les hommes et de 93 ans pour les femmes, contre respectivement 79 et 85 ans à l’heure actuelle. C’est dans la suite logique, la longévité croît de génération en génération : il y a aujourd’hui vingt fois plus de centenaires que dans les années 1970, et il y en aura treize fois plus en 2070. On peut même féliciter nos seniors, l’Hexagone est aux dernières nouvelles le pays d’Europe qui compte le plus de centenaires (21.000 en 2016), devant l’Espagne et l’Italie. L’espérance de vie de nos enfants serait donc plus longue. Seulement voilà, il y a vieillir et bien vieillir : à quoi bon une décennie supplémentaire si on la passe dans un fauteuil médicalisé ?
Chronologie versus physiologie
« Si l’espérance de vie tend à augmenter, c’est surtout parce que la qualité des soins progresse : les gens vivent plus longtemps, mais malades », explique le médecin Christophe de Jaeger, spécialiste du vieillissement humain et auteur de Bien vieillir sans médicaments (éd. Le Cherche Midi, 2018). L’espérance de vie en bonne santé, « sans incapacité » comme définie par l’Insee, culmine à seulement 65 ans, ce qui signifie qu’une femme passera les vingt dernières années de sa vie malade, avec des douleurs, sous traitement médicamenteux ou dépendant d’autrui… « Bien vieillir, c’est rester capable de faire tout ce que l’on a envie de faire, sans limitations, résume le médecin. C’est une définition fonctionnelle qui marque la différence entre l’âge chronologique, qui est purement administratif, et l’âge physiologique, qu’on peut évaluer grâce à des mesures objectives de l’état du cerveau, du squelette, des artères… » Si « on vieillit à partir de la fin de l’adolescence », on ne vieillit donc pas tous à la même vitesse, certains ont 50 ans sur le papier mais le corps d’un septuagénaire, et inversement. Comment mettre toutes les chances de son côté pour être du bon côté, et espérer dépasser le siècle… ou du moins, mieux vivre vieux ?
La réponse réside peut-être dans les « zones bleues », ces régions isolées du monde où vit un nombre inhabituel de centenaires. Il y en a cinq répertoriées à ce jour aux quatre coins du globe, comme l’île grecque d’Ikaria, la péninsule de Nicoya, au Costa Rica, ou encore l’île d’Okinawa, au Japon, où les super-seniors sont trois fois plus nombreux qu’en France. Quel est leur secret ? Une histoire de gènes ? Même pas : il y a certes des études ici et là qui suggèrent que la clé des centenaires se trouverait dans le bagage ADN, mais l’influence reste très limitée. « Nous ne sommes pas prisonniers de nos gènes, rappelle Docteur De Jaeger. La part de la génétique dans le processus de vieillissement n’est que de 20-25%, alors que la part de l’environnement, elle, ne cesse d’augmenter. » Et c’est une bonne nouvelle, car c’est justement sur notre environnement que l’on peut agir.
Un mode de vie pour durer
Il y a d’abord l’hygiène de vie qui joue sur la longévité, à commencer par le triptyque « alimentation, sport, sommeil » (et cela va sans dire, l’absence de tabac, d’alcool et autres drogues). Niveau nutrition, suivons l’exemple des populations des zones bleues où, de fait, les fast-foods n’existent pas et où les repas sont frugaux, peu caloriques et surtout peu sucrés – comme « du riz, des haricots, un peu de viande, de fruits et d’avocats », selon un témoignage recueilli par l’AFP au Costa-Rica. « On consomme aujourd’hui trop de sucres, abonde Christophe de Jaeger. Et dans la mesure où on ne les dépense pas suffisamment dans la vie quotidienne (sédentarité, peu d’efforts physiques…), ces sucres vont s’accumuler un peu partout dans l’organisme jusqu’à causer une glycation et abîmer nos différents organes (cerveau, yeux, artères, peau…). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est préférable de manger plutôt quatre légumes et un fruit par jour. » Manger moins en quantité (voire pratiquer le jeûne intermittent), s’hydrater (avec de l’eau !), consommer plus de « vert » et surtout limiter drastiquement le sucre, telle serait la recette du vivre vieux. Si vous avez encore faim, vous pouvez vous renseigner sur les régimes de longévité validés par la science.
Sans surprise, l’exerce physique est aussi crucial pour ne pas vieillir trop vite, le plus utile étant la musculation et le cardio, dixit le spécialiste. « Une des conséquences de l’âge est la perte régulière et continue de la masse musculaire, alors même que celle-ci est un facteur de prévention de la santé. Il faut donc l’entretenir. Le travail du cardio, de son côté, permet de renforcer le cœur, les poumons et le cerveau. » Mais votre session d’endurance doit respecter certaines règles : démarrer doucement, selon vos capacités, quitte à consulter un médecin en cas de doute, et surtout faire l’exercice sans interruption. « La marche est excellente pour bien vieillir, mais c’est un faux ami : pour qu’elle soit utile, il faut marcher de façon active et continue », affirme Docteur De Jaeger.
Bien dormir, enfin, a toutes les chances de vous mener jusqu’au siècle. « Avoir un sommeil de qualité n’est pas une question de durée : certains ont besoin de dormir sept heures, d’autres neuf. Pour évaluer la qualité de ses nuits, il faut simplement se poser la question si on est fatigué le lendemain », rappelle l’expert en longévité. A l’heure où un Français sur trois dit souffrir de troubles du sommeil, ce n’est pas gagné, mais c’est un objectif à atteindre. L’important, c’est de se coucher à heures fixes et de respecter son horloge interne en se fiant aux bâillements de fatigue. Et bien sûr, éviter les écrans, qui retardent l’endormissement, et les substances psychoactives, qui ruinent carrément le sommeil.
Adopter une autre « philosophie de vie »
Il suffirait de prendre quelques bonnes habitudes pour conjurer les problèmes de santé et atteindre les trois chiffres ? Cela augmente nos chances, mais ce n’est pas si simple. D’après Christophe de Jaeger, vivre vieux et en forme est avant tout une question de mental, d’état d’esprit, de « philosophie de vie ». « Les doyens des zones bleues vivent encore en société, avec les autres, ils sont toujours actifs quel que soit leur âge. Et parce qu’ils continuent à travailler, ils sont reconnus dans la société pour leur valeur en tant qu’individu, et se sentent valorisés en retour. Ce n’est pas comparable avec nos cultures occidentales, où les retraités sont mis en retrait de la société, comme s’ils n’avaient plus de valeur. » Ceux qui, au contraire, persistent dans une vie active (travail, bénévolat, bridge, danse…) ont d’ailleurs le chic de vieillir mieux, c’est prouvé.
Autre point commun, les habitants des zones bleues ont une sorte d’optimisme à toute épreuve : même en cas de maladie ou de deuil, ils sont plus susceptibles que nous d’accepter la situation et de rebondir, assure le spécialiste de la longévité. « Globalement, les gens qui vieillissent bien sont ceux qui ont toujours des projets, qui sont très ouverts aux autres, qui ne se limitent pas dans leurs actions et qui voient le verre à moitié plein. » Cette manière de percevoir l’existence a un sérieux avantage : elle éloigne le stress qui, on le sait, accélère le vieillissement des cellules. Ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi la méditation est si efficace pour rajeunir le cerveau.
Adopter une nouvelle philosophie de vie… Facile à dire, moins à appliquer dans nos sociétés citadines et individualistes où l’esprit est pollué par les tentations, de la malbouffe aux écrans en passant par le canapé et les excès en tout genre. « D’abord, il faut avoir envie de changer en vue de vivre longtemps et bien, affirme Docteur De Jaeger. En considérant son capital santé comme quelque chose de précieux, à préserver voire à augmenter (et non pas simplement à utiliser jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus), on change sa façon de voir les choses sur le plan psychologique. Mais cela signifie qu’il faut être capable de dépasser l’instant, de se projeter sur sa vie à long terme, sur l’après-après-demain. » Pour cela, de la discipline s’il vous plaît, et finie la procrastination, arrêtez de dire « J’ai le temps » car personne ne l’a vraiment !
Heureusement, il n’y a pas d’âge butoir pour commencer à prendre soin de son physique et de son mental. « Même à 50 ou 70 ans, la prise de conscience aura des effets », promet le médecin. Et puis, pour bien vieillir, c’est quand même plus réaliste de miser sur son propre capital santé plutôt que sur des milliardaires en quête d’immortalité qui investissent dans l’élixir de jouvence ou la cryogénisation – auxquels le commun des mortels n’aurait pas droit de toute façon. « Le transhumanisme est une impasse, le corps humain est déjà une machine qui offre infiniment plus de possibilités que la technique. »
Le Docteur Christophe de Jaeger est médecin et son travail est centré sur la physiologie de la sénescence depuis plus de 30 ans.
Il a développé en particulier la notion d’âge physiologique (différent de l’âge chronologique et
de l’âge ressenti) et sa prise en charge afin d’optimiser le capital santé de chacun et de lui conserver le plus longtemps possible ses capacités physiologiques. En d’autres termes, rester en bonne santé le plus longtemps possible.
De formation initiale gérontologue, il a rapidement complété son cursus à la faculté des sciences en biologie de la sénescence. Il enseigne à la faculté de médecine de Paris et de Lille et également à la faculté des sciences dans le Master de biologie du vieillissement. Il a écrit ou coécrit de nombreux livres dont une dizaine grand public, ainsi que de nombreux articles scientifiques.
Son dernier ouvrage grand public »Médecine de la Longévité : Une révolution ! » est publié en octobre 2023 chez Guy Trédaniel éditeur.