- Par Stanislas Deve
Avancées médicales, mode de vie, « capital santé« … Dans son dernier ouvrage, le médecin et spécialiste du vieillissement Christophe de Jaeger explore les nouvelles sciences de la longévité qui pourraient bien, un jour, nous faire vivre sans problème jusqu’à 150 ans.
Publié le 21.04.2024 à 08h00
Est-ce la fin de l’obsolescence programmée de l’être humain ? », interroge Christophe de Jaeger dans son dernier livre intitulé Médecine de la longévité : une révolution !, paru fin 2023 aux éditions Guy Trédaniel. Le médecin, expert du vieillissement ou plutôt de la sénescence, répond résolument par l’affirmative.
Pourquoi Docteur : L’humain a toujours voulu repousser les frontières de son espérance de vie. En quoi a-t-il désormais les moyens de le faire ?
Christophe de Jaeger : Nous avons aujourd’hui atteint un degré de progrès technique et de connaissances médicales et scientifiques qui nous permet d’identifier plus précisément les mécanismes impliqués dans la sénescence. Le terme de vieillissement ne veut pas dire grand-chose, c’est seulement un marqueur du temps qui passe : un enfant de 15 ans est « vieux » par rapport à un de 6 ans. De la conception à la fin de la puberté, le vieillissement est positif : en biologie, on appelle cela le développement. C’est à partir de la fin de l’adolescence qu’on entre dans la phase de « sénescence » : celle-ci se caractérise par une diminution progressive de nos capacités fonctionnelles, une dégradation de tous nos systèmes (cardiaque, immunitaire, cérébral…) qui va fragiliser notre organisme et nous conduire aux pathologies. La vraie révolution, aujourd’hui, est que l’on est capable de mieux mesurer ces différents mécanismes et d’interférer avec eux. C’est là qu’émerge la notion de médecine de la longévité : ce n’est pas simplement une médecine de la santé, mais une médecine de la santé conjuguée à travers la longévité. La majorité des gens considèrent la longévité comme quelque chose de péjoratif, en évoquant souvent Jeanne Calment, doyenne de l’humanité, en très triste état à la fin de sa vie à 122 ans. Or l’enjeu n’est pas de vivre le plus vieux possible, mais de rester dans le meilleur état possible, le plus longtemps possible. Sauf que cela nécessite des interventions : il faut utiliser toutes les ressources de la technologie pour mesurer son âge physiologique (et ainsi savoir où on en est fonctionnellement), mais également examiner dans le sang tous les processus de cette sénescence pour les corriger. Jusqu’à présent, les avancées médicales ont été utilisées pour diagnostiquer et traiter les maladies, tandis que maintenant, on peut les utiliser pour évaluer, maintenir et optimiser notre santé. C’est l’introduction scientifique de la notion de « capital santé », et de son entretien.
L’enjeu n’est pas de vivre le plus vieux possible, mais de rester dans le meilleur état possible, le plus longtemps possible. Sauf que cela nécessite des interventions.
Comment entretenir ce capital santé de manière physiologique ?
Après des décennies de recherche, on sait que le mode de vie, à savoir l’alimentation et l’activité physique, n’est pas suffisant. Il est nécessaire d’aller plus loin en redonnant à l’organisme ce dont il a besoin pour bien fonctionner – et je ne parle pas de médicaments, mais d’éléments purement physiologiques. Le corps humain est comme une automobile : à force de rouler, elle s’use, et pour qu’elle fonctionne le plus longtemps possible, il faut ajouter certains ingrédients lors de la maintenance, comme de l’huile constructeur. C’est le même principe avec la médecine de la longévité : il s’agit d’entretenir son organisme en lui apportant des éléments qui diminuent inexorablement en vieillissant et le fragilisent. C’est le cas par exemple de la vitamine D, une hormone qui a un fort impact sur le système osseux, sur le vieillissement cérébral, mais aussi l’immunité en prévenant certains cancers. Il existe 150 autres molécules que l’on peut ainsi mesurer grâce à une simple prise de sang, comme le coenzyme Q10, le sélénium, la prégnénolone, la mélatonine, les vitamines B…
Suffirait il donc de surveiller nos éventuelles carences et, en fonction, de faire des cures de vitamines et minéraux pour rééquilibrer notre organisme ?
Dans un premier temps, pour reprendre l’analogie de l’automobile, il faut mettre la bonne essence, c’est-à-dire s’alimenter sainement, et conduire de façon raisonnable, en accélérant doucement et en freinant par anticipation, ce qui correspond à l’exercice physique. Il est aussi nécessaire de bannir au maximum les substances toxiques. Si ces règles hygiéniques et diététiques de base relèvent du bon sens, on a pourtant tendance aujourd’hui à considérer que la santé ne se perd que dans la maladie, alors qu’elle se perd bien avant, sur le long terme. Notre rôle est de préserver ce capital santé au quotidien, et pas seulement de faire appel à la médecine quand on en a besoin.
Un des principes clés pour garder la santé le plus longtemps possible est d’éviter de surcharger son organisme en sucres, qui mènent au phénomène de glycation.
On peut ralentir le vieillissement, mais peut-on techniquement le stopper, voire rajeunir ? C’est ce qu’affirme avoir réussi à faire le millionnaire américain Bryan Johnson…
Cela part d’un principe réaliste : mesurer l’âge physiologique de ses différents organes à un moment donné, et tenter d’intervenir sur chacun d’eux. L’ADN, en vieillissant, va se couvrir de radicaux méthyles : plus il est méthylé, plus il est vieux. Or, on peut, comme Bryan Johnson, modifier cette méthylation de l’ADN en jouant sur certains comportements (nutrition, sport…) et en corrigeant certains déficits grâce à toutes sortes de compléments. Mais le millionnaire n’a pas rajeuni son ADN, il a « simplement » fait en sorte qu’il soit moins méthylé, et donc plus fonctionnel.
Quel est actuellement le pire ennemi d’un vieillissement en bonne santé ? Qu’est-ce qui fait le plus le lit des maladies ?
Un des principes clés pour garder la santé le plus longtemps possible est d’éviter de surcharger son organisme en sucre. Les sucres mènent au phénomène de glycation : quand il est en excès dans le sang, le sucre va se comporter comme une sorte de glu, qui va agréger les protéines, les rendre inactives, et donc aboutir à une inflammation de l’ensemble de l’organisme (sous la peau, dans les yeux, le cerveau, les artères, les nerfs…) et nous conduire aux pathologies. Nous consommons toujours trop de sucre dans notre société, notamment quand on veut se détendre, alors qu’il faudrait le fuir au maximum.
Nos existences actuelles ne sont pas favorables à un bon vieillissement, même s’il faut reconnaître que les progrès de la médecine ont permis de mieux traiter les maladies chroniques et d’allonger l’espérance de vie.
Pour bien vieillir, faudrait il suivre l’exemple des résidents des « zones bleues », où l’on trouve statistiquement le plus de centenaires en bonne santé ?
Les zones bleues sont la preuve que certains comportements peuvent nous aider à vieillir mieux : leurs habitants suivent une alimentation méditerranéenne (végétaux, poisson…) et plutôt frugale, ils demeurent actifs physiquement (chacun travaille à sa mesure) et psychologiquement (ils sont toujours intégrés à la communauté et contribuent à celle-ci à leur échelle, même les seniors), et ils sont très peu anxieux grâce à des habitudes de vie très codifiées. C’est l’inverse de ce qu’on trouve dans nos sociétés occidentales, avec une sédentarité accrue, une majorité de retraités inactifs, isolés et malades, et un stress chronique. Nos existences actuelles ne sont pas favorables à un bon vieillissement, même s’il faut reconnaître que les progrès de la médecine ont permis de mieux traiter les maladies chroniques et d’allonger considérablement l’espérance de vie, notamment grâce aux vaccins et aux antibiotiques.
Peut-on compter sur les sciences de la longévité pour altérer un jour le vieillissement ? Après tout, nous sommes capables, en théorie, en laboratoire, d’immortaliser des cellules, de rajeunir des cellules-souches…
Cela fait plus de trente ans que nous pouvons immortaliser des cellules en laboratoire… Nous avons la technologie, mais elle peine à passer la barrière du grand public. En 2012, le Japonais Shinya Yamanaka a reçu le prix Nobel pour son travail sur les cellules-souches : en modifiant leur génome, il a réussi à les rajeunir pour de bon, de sorte qu’elles récupèrent les capacités des cellules jeunes. Mais ce sont des manipulations génétiques dont on ignore les conséquences. A terme, cela ne va-t-il pas cancériser l’organisme ? Nous n’avons pas encore le recul nécessaire. Bien que le procédé soit assez barbare, nous sommes également capables de rajeunir des petits mammifères. C’est ce qu’on appelle la parabiose hétérochronique : en reliant les systèmes vasculaires d’un individu jeune et d’un individu plus âgé, le plus vieux rajeunit, et réellement, pas seulement fonctionnellement. Dans cette quête de jouvence, les Etats-Unis sont allés très loin : dans quelques cliniques ouvertes en Californie, il était possible d’acheter du sang – qui est commercialisable dans le pays – de sujets jeunes et de l’injecter à des sujets plus âgés. Mais cela n’a donné aucun résultat, car c’est plus compliqué que cela. Reste que la « possibilité de » est porteuse d’espoir, et peut-être que dans 15 ou 20 ans, en fonction des moyens mis à disposition de la recherche, cela pourrait donner des choses étonnantes. Chacun de nous doit être conscient qu’on pourra à terme bénéficier de ces progrès, l’urgent est donc de rester en bonne santé maintenant pour avoir une chance d’en bénéficier un jour.
Il y a selon moi beaucoup plus de facultés chez l’être humain que chez les machines. La vraie réponse se trouve dans la biologie, pas dans le transfert de notre cerveau vers une puce.
Pensez-vous que l’humain pourra vivre très vieux et en bonne santé sans une once de transhumanisme ?
La notion de « longévisme » que je développe dans mon livre s’oppose au « transhumanisme », qui voit dans la technologie une manière de s’augmenter, physiquement, cognitivement. Il y a selon moi beaucoup plus de facultés chez l’être humain que chez les machines. Certaines études ont par exemple révélé qu’une proportion microscopique de notre ADN équivalait, en termes de mémorisation, à des centaines de disques durs. Notre biologie a une extraordinaire capacité d’information et de récupération, il faut simplement apprendre à la travailler et à regénérer notre organisme. La vraie réponse se trouve dans la biologie, pas dans le transfert de notre cerveau vers une puce.
Vieillir ne sera-t-il bientôt plus qu’une maladie qu’on peut soigner sur le long terme ?
Pour la première fois, la notion de sénescence apparaît dans la classification internationale des maladies [CIM 11]. Peu à peu, on se rapproche donc de l’idée que cette usure progressive de l’organisme est la mère de toutes les maladies, la maladie originelle. Le problème est la dissociation qu’il existe entre les capacités futures de notre science et la volonté de l’être humain de vouloir participer à cette révolution : au niveau individuel, on veut tous vivre mieux plus longtemps, mais pour cela, il est nécessaire de changer son hygiène de vie, de faire des sacrifices, et trop peu de gens sont prêts à les faire. En outre, il y a l’aspect technique mais qu’en est-il de l’aspect psychologique ? Sommes nous vraiment faits pour vivre 150 ans ? Notre cerveau pourra-t-il s’adapter ? On se rendra peut-être compte que les gens qui dépassent un certain âge se suicident, parce qu’ils ne supportent plus l’existence ou n’ont pas la capacité cognitive suffisante pour voir au-delà d’un certain âge… Imaginez aussi que certains puissent vivre très vieux et d’autres non : comment cela modifierait il nos relations aux autres ? C’est une page blanche…
A lire sur le site pourquoidocteur.fr