Quelles sont les bases de la longévité
LONGÉVITÉ
La théorie des mutations somatiques
(CURTIS, 1971)
Toute cellule de l’organisme peut subir des mutations spontanées ou provoquées (environnement) qui altéreraient le fonctionnement de la cellule, puis de l’organe et, enfin, de l’organisme entier. Ces mutations apparaissent de façon totalement aléatoire dans le génome. Plus le temps s’écoule, et plus les mutations se multiplient, ayant alors un impact de plus en plus important sur la longévité.
La théorie des erreurs catastrophiques
(VON ORGEL, 1963, et MEDVEDEV, 1972)
Le vieillissement serait dû à l’accumulation d’« erreurs catastrophiques » survenant de façon aléatoire au cours des phénomènes de transcription de l’information génétique. Celle-ci est contenue dans l’ADN (acide désoxyribonucléique) et doit être transcrite sous forme d’ARNm (acide ribonucléique messager) pour pouvoir être lue par les ribosomes (unité de fabrication protéique de la cellule). Si une erreur se produit au cours de cette transcription, alors la protéine synthétisée (protéine de structure ou enzyme) sera inefficace, aboutissant à l’accumulation dans la cellule de protéines ou d’enzymes anormales. Celles-ci finissant par bloquer le métabolisme cellulaire et engendrer la mort cellulaire. Ces erreurs toucheraient le potentiel génétique (mutation) et la synthèse protéique. Les conséquences en cascade pour l’organisme sont délétères, conduisant à une désorganisation de tout le système et donc une diminution de la longévité.
La théorie de la réticulation ou cross-link
(BJORKSTEN, 1941)
Certaines macromolécules vont progressivement, au cours du vieillissement, se lier (cross-link) à d’autres macromolécules entraînant leur inactivation métabolique réciproque (fibres de collagène). Les fibres ainsi liées sont plus difficilement dégradées et constituent des agrégats que certains considèrent comme toxiques et, peut-être, responsables du vieillissement.
La théorie des radicaux libres
(HARMAN, 1957)
Les radicaux libres sont issus du métabolisme normal de la cellule. Ce sont des molécules extrêmement réactives qui oxydent les molécules proches, afin de produire des polymères inactifs. Ils peuvent contribuer au vieillissement à plusieurs niveaux. Ils peuvent se lier aux macromolécules du tissu conjonctif et faire obstacle à la diffusion de substances nutritives vers les cellules périphériques et donc diminuer la vitalité des tissus avec l’âge. Leur liaison avec l’ADN est rendue responsable de certaines mutations génétiques pouvant détériorer certaines voies métaboliques et même être responsables de cancers. Les radicaux libres attaquent les lipides des membranes cellulaires, provoquant, par exemple, une réduction de la perméabilité membranaire.
Enfin, les radicaux libres vont être à l’origine de l’accumulation cellulaire de débris lipoprotéïques appelés « pigments de vieillissement » ou lipofuscine. Cette théorie, toujours très en vogue, ne peut expliquer à elle seule le processus du vieillissement.
Mais tous les auteurs admettent aujourd’hui que les radicaux libres interviennent partout dans l’organisme. Ils n’initient pas le vieillissement, mais y contribuent et aggravent le processus.
Les théories et la physiologie du vieillissement humain
Actuellement, aucune des théories publiées ne peut expliquer de façon univoque l’ensemble des phénomènes en cause dans le vieillissement. Le nombre de théories du vieillissement publiées avoisine les 400. Elles ne reflètent, en réalité, que la spécialité du médecin, du biologiste ou du chercheur et de ses travaux.
Certaines théories sont plus représentatives de la sénescence, comme celle des radicaux libres ou la théorie neuroendocrinienne, mais en réalité elles se complètent toutes à des degrés différents. Le vieillissement est généralement considéré comme une propriété universelle des êtres vivants. C’est ainsi que l’on assiste à une multitude de décroissances physiologiques qui se produisent après la maturation sexuelle, mais ce phénomène n’est pas universel. Il existe par exemple des animaux chez lesquels le vieillissement est exceptionnel ou n’a jamais été démontré.
Certains poissons et amphibiens peuvent avoir une longévité indéterminée (COMFORT, 1979). Certaines méduses comme Turrilopsis nutricula sont considérées comme immortelles. Ainsi, l’universalité du vieillissement n’est pas démontrée. Ces animaux vont mourir de maladie, de prédation ou d’accidents, mais cela ne traduit pas un vieillissement réel.
Les théories immunologiques
Plusieurs auteurs pensent que les transformations affectant le système immunitaire pourraient être responsables de l’apparition de maladies chroniques et qu’elles pourraient aussi jouer un rôle dans le vieillissement. Le déclin de la réponse immunitaire s’accompagne d’une réduction de la capacité de réponse aux agressions antigéniques.
En effet, le système immunitaire, en involuant, ne semble plus être en mesure de discriminer de façon efficace le soi de l’étranger. Le système immunitaire va donc confondre progressivement ses propres protéines avec des protéines étrangères (BURCH et WALFORD, 1969). Les antigènes du complexe majeur d’histocompatibilité (groupe HLA) représentent des marqueurs potentiels de longévité tout en étant associés à une plus grande résistance aux infections.
L’apparition de cancers ou de maladies auto-immunes ne serait que la conséquence de certaines modifications dans l’« horloge thymique », résultant d’un programme génétiquement déterminé et devant entraîner un déficit immunitaire.
Les théories neuroendocriniennes
Les phases du développement et de la maturation de notre organisme sont contrôlées en partie par des tissus endocriniens. Il est donc plausible que le vieillissement puisse être associé au déclin de système endocrine. La plupart des fonctions neuroendocrines déclinent avec l’âge (hormones thyroïdiennes, corticosurrénales, testiculaires, ovariennes, hormones de croissance). Celles-ci dépendent de l’axe hypothalamo-hypophysaire (EVERITT, 1973).
L’effondrement du contrôle des régulateurs hormonaux aurait des effets directs sur le vieillissement. Pour certains, le centre de contrôle serait localisé dans l’hypothalamus ou dans l’épiphyse ou encore dans le thymus. Pour d’autres encore, la longévité serait réglée par une horloge biologique qui agirait sur les glandes endocrines et provoquerait la faillite des systèmes immunitaires et circulatoires.
Ainsi, la dérégulation hypothalamique pourrait être causée par une perte de neurones, par une réduction de la sensibilité des récepteurs de l’hypothalamus à la rétroaction ou par une insuffisance quantitative ou qualitative de neurotransmetteurs. Cette dérégulation entraînerait alors un début d’anarchie au niveau des systèmes effecteurs se traduisant par la survenue d’affections associées au vieillissement. La variation du métabolisme des neurotransmetteurs catécholaminergiques (FINCH, 1976, et SAMORAJSKI, 1977) dans certaines régions du cerveau pourrait être le primum-novens entraînant ensuite la cascade d’événements que nous venons de décrire.
Les théories génétiques
Le vieillissement serait contenu dans le programme génétique de chaque cellule et il ferait donc partie d’un ensemble cohérent menant tout individu de la naissance à la mort. Parmi les arguments allant dans ce sens, se trouve la remarquable constance et spécificité de la durée de vie des espèces. Par exemple, la longévité maximum de la drosophile est d’environ un mois, celle de la souris de 3 ans, et celle de l’homme d’environ 120 ans. Les travaux de HAYFLICK et de MOREHEAD vont dans ce sens. Ils ont montré que la durée de vie des fibroblastes diploïdes humains était limitée à un certain nombre de générations (environ 50). Hayflick a émis l’hypothèse que cette limite de prolifération était due à l’activation d’un mécanisme intracellulaire de vieillissement.
On a aussi noté une grande différence entre les capacités de division de cellules provenant de donneurs d’un même âge. Certains facteurs de contrôle du vieillissement sont apparents au niveau des populations, ainsi que le démontrent les statistiques résultant d’études longitudinales sur des cohortes de jumeaux monozygotes et hétérozygotes et sur l’incidence des maladies associées au vieillissement.
Chez les humains, la différence moyenne de longévité entre de faux jumeaux est deux fois plus grande que celle de vrais jumeaux. Les ancêtres des centenaires ont des longévités significativement plus importantes.
Des modifications de certains gènes uniques peuvent aboutir à un vieillissement accéléré comme dans la progéria, le syndrome de WERNER ou le syndrome de DOWN. La progéria est une maladie rare provoquant un vieillissement accéléré de l’individu. Les signes apparaissent dès les premières années de vie et sont caractérisés par un aspect de « vieux ». Le décès survient, habituellement avant l’âge de 15 ans, de maladies cardio-vasculaires. Il s’agit d’une maladie héréditaire à transmission autosomique dominante sporadique. Le syndrome de WERNER (ou progéria de l’adulte) apparaît à l’adolescence comme un vieillissement accéléré aboutissant au décès, vers l’âge de 40 ans, de maladies cardio-vasculaires. Il s’agit d’une maladie héréditaire autosomique récessive. Le syndrome de DOWN résulte habituellement d’une trisomie 21 et se caractérise par un vieillissement précoce. L’espérance de vie est généralement de 35 ans.
Il est possible d’identifier des changements similaires, au niveau moléculaire, dans le contrôle des processus de vieillissement à l’intérieur des cellules ou de l’organisme. Les changements fonctionnels de la cellule pourraient inclure la répression ou la dérépression de portions du génome à différents moments.
Au cours de la morphogenèse, les gènes contrôlant la synthèse des composés de réactions biochimiques particulières sont exprimés à des moments précis du développement, prenant la relève de certains gènes devenus redondants. La programmation du vieillissement au niveau du génome pourrait également être due à la répression ou à la dérépression de gènes qui atténueraient l’activité de certaines souches cellulaires et créeraient de nouvelles voies métaboliques sénescentes.
Plusieurs observations corroborent l’hypothèse de l’existence de gènes spécifiques du vieillissement de l’organisme qui deviendraient opérationnels avec l’âge. On a aussi suggéré l’existence de gènes pléiotropiques (WILIAMS, 1957) dont la fonction changerait avec l’âge, ce qui pourrait expliquer l’effet séquentiel de ces gènes au cours de la vie. La théorie du développement et du vieillissement par la restriction des codons (STREHLER et BARROW, 1970) est basée sur le fait que différents messages génétiques sont soumis, tout au long du développement, à une série de répressions-dérépressions, afin de mettre en circulation les protéines requises à certains moments précis du développement.
Une répression définitive de certains codes génétiques pourrait entraîner la perte d’un métabolite qui serait indispensable au fonctionnement efficace de la cellule après la fin du développement et de la différenciation. Cette restriction d’accès au codon entraînant la substitution de certains éléments cellulaires fonctionnels et la perte de constituants protéiques essentiels, causeraient la mort de certaines cellules.
D’autres théories génétiques du vieillissement incluent le phénomène de la redondance des gènes (MEDVEDEV, 1966). La perte progressive d’information redondante dans le génome entraîne finalement la perte des séquences uniques d’ADN contenant une information essentielle au bon fonctionnement de l’organisme, pouvant précipiter les phénomènes du vieillissement.
Pour d’autres auteurs (HART et SETLOW, 1974), le vieillissement est un phénomène distinct des autres événements biologiques. Il est par cela déterminé par une série de gènes spécifiques. Selon ces auteurs, tous les mammifères seraient constitués d’entités biologiques qualitativement égales, et les différences observées entre leurs longévités maximales potentielles seraient dues aux mécanismes par lesquels ces parties sont maintenues en ordre, protégées et réparées.
Les processus de protection et de réparation représenteraient les fonctions des gènes déterminant la longévité, et leur degré d’expression serait réglé par un nombre limité de gènes. Ces processus engloberaient les réactions de détoxication, les enzymes de réparation de l’ADN, les antioxydants endogènes, et d’autres réactions spécifiques. Une corrélation directe a été montrée entre certains types de processus de réparation de l’ADN et de la longévité des espèces : plus leur capacité à réparer l’ADN est efficace, plus les espèces vivent longtemps. Il existe des séquences nucléotidiques d’ADN répétées aux extrémités des chromosomes linéaires (télomères).
À chaque division cellulaire, des pertes de ces séquences se produisent, de sorte qu’à chaque division cellulaire la longueur du télomère diminue jusqu’à ce que la division s’arrête. Cette découverte récente est d’autant plus importante que l’on a mis en évidence chez les cellules immortelles des enzymes (télomérases) susceptibles d’ajouter de nouvelles séquences télomériques aux extrémités des chromosomes prévenant ainsi leurs raccourcissements jusqu’au point critique de la perte de la capacité à se diviser.
L’expression progressive de virus endogènes, la perte de récepteurs hormonaux, la diminution du taux de prolifération cellulaire, l’augmentation de l’incidence des cancers et des maladies auto-immunes, les altérations morphologiques de certaines cellules, l’apparition de protéines étrangères et les modifications membranaires pourraient toutes être associées à une dédifférenciation progressive du génome. Enfin, les tenants de la théorie du vieillissement programmé pensent que notre génome contient en lui-même notre propre fin sous la forme d’une séquence déterminée conduisant à la mort de l’organisme.
L’apoptose cellulaire ou mort cellulaire programmée est un phénomène qui mérite d’être évoqué. Décrit la première fois par KERR en 1972, l’apoptose est une forme spéciale de suicide cellulaire programmé dans le génome de toutes les cellules et déclenché par une grande variété de stimuli (radicaux libres, etc.).
Mais contrairement aux nécroses cellulaires déclenchées par des agressions extérieures (toxines microbiennes) où la cellule se désintègre, l’apoptose en respecte l’intégrité, nécessite de l’énergie, une néosynthèse de protéines et se termine par la fragmentation de l’ADN. Les fragments cellulaires restent enveloppés par la membrane cellulaire et sont ensuite rapidement phagocytés par les cellules du système immunitaire (macrophages). En savoir plus.